La voix manifeste

Anne-Marie Cornu s'entretient avec Violaine Lochu, avril 2018

à propos de E.V.E

A travers le personnage de E.V.E, chatbot hybride, mi humaine mi machine, le projet interroge cette troublante présence ubiquitaire du web, nous questionne ce que nous décidons de livrer publiquement sur cet espace virtuel et pourtant bel et bien réel.

(Un chabot est un « agent conversationnel », c'est à dire un logiciel programmé pour simuler une conversation en langage naturel).

Violaine Lochu : E.V.E est une expérience qui interroge nos relations que l'on tissent avec les objets numériques qui rentrent dans notre intimité, à partir d'internet et ses outils, de google krome, des robots électroniques japonais. E.V.E est un personnage qui est relié à internet et qui sait tout sur tout le monde. La performance est une conversation ; Je questionne le public. Je savais qui était là, il y avait un groupe de jeunes avec lequel j'avais travaillé et je leur posais des questions et je répondais et ils se rendaient compte que je savais de plus en plus de choses sur eux.

Il y a l'idée d'activer des données personnelles et aussi des données de la mémoire collective du net. Plus E.V.E disjonctait et plus elle revenait séduisante ensuite. C'est un personnage qui est complètement investi par d'autres entités, que ce soit le public en face d'elle ou les ondes qu'elle reçoit d'ailleurs.

J'ai travaillé avec une maquilleuse, je travaille régulièrement sur les doubles, et là EVE, tu verras, sur la video c'est moi mais on a du mal à me reconnaître parce que j'ai travaillé aussi le corps pour avoir un côté non humain.

AM C: Tu simules une machine ?

V L : Je suis androïde, à la fois très humaine et à la fois non humaine. Les adolescents ne m'ont pas reconnus. Ils avaient vraiment un doute sur ce qu'était E.V.E. La performance est réelle. Une captation video de la performance est en ligne.

J'ai travaillé avec trois types de données : celles des adolescents, avec eux il y a eu vraiment un travail de réflexion sur leurs données et ce qu'ils étaient prêts à me donner. Je ne suis pas allée fouiller leur monde sur internet, d'ailleurs ils sont bien plus malins que nous, parce qu'ils sont bien cachés, avec des faux noms, des pseudonymes etc, et c'est eux qui ont fait le choix de me donner des choses.

Les données sur le public, je suis allée faire une sorte d'espionnage sur internet, très limité, par google.

Elle est intéressante cette performance, elle est unique car si elle se refait, elle sera différente à chaque fois, elle est interactive avec le public et ce jour là, il y avait les ados et le milieu de l'art contemporain, milieu professionnel. Donc il y avait des références à l'art contemporain mais aussi au joueur de foot, à dragon ball Z, aux pokémons, ce qui produisait quelque chose d'assez rigolo et d'assez troublant dans le mélange de hautes et basses cultures, et de données collectives, tout ce qui fait partie de la mémoire collective d'internet. Même, Les buzz, des choses qu'on entend, des pubs, des choses où on est un peu aliéné et qui font partie de chacun d'entre nous, qui est identifiable par chacun.

AM C : C'est une première performance sur les données du net ?

V L : meteo, google krome, rap, c'est exactement comment fonctionne youtube ou internet, on tape un mot et il y a plein d'accès qu s'offrent, il n'y a plus de distinction entre des données nobles, intellectuelles et des données, des trucs un peu pourris. C'est vraiment la dessus que cela se joue et ainsi que sur les enchainements des données. Il y avait juste ma voix, j'allais dans le public, la magie état dans la voix. J'avais une voix de synthèse. Je me suis inspirée du GPS. j'ai énormément travaillé sur la voix des GPS par exemple. Je pensais que cela avait plus de force de ramener de la machine en restant dans un corps humain avec une voix humaine. Il y avait un doute qui persistait en observant la manière de me mouvoir et de parler. Je fais tout à la voix, en live, je n'ai jamais d'enregistrement ; faire le son en live est quelque chose qui revient tout le temps dans mon travail. Cela ne n'intéresse pas d'amener le son enregistré, de l'extérieur. Je génère le son et le manipule en live. J'aime beaucoup les choses simples, brutes et directes. La contrainte de faire tout sur scène et de jouer justement. J'ai une voix presque robotique, radiophonique, comme lorsqu'on change d'une station à une autre. C'est beaucoup plus fort si je le fais en live que si je ramène des voix d'ailleurs. La magie est que cela vienne d'un seul corps.